mercredi 10 juillet 2013

En écoutant les vibrations du sel


La mine basse, regard tourné vers l'enveloppe scellée du coeur, soucis sans cesse savoir peser. Et dans la nuit du jour chaviré, Xenakis (Metastasis), Varèse (Poème électronique), Messiaen (Fête des belles eaux, Turangalîla, Le Merle noir, etc.), Stockhausen (Telemusik), John Cage, et Chostakovitch, et Grieg, et Ligeti... Je cherche un nouveau souvenir à oublier. Un nouveau style grave d'alternateur. Tranströmer (Baltiques) : « VII. Le clavier qui s'est tu durant tout Parsifal (mais qui a écouté) peut enfin exprimer quelque chose. / Soupirs... sospiri... / Quand Liszt joue ce soir, il garde la pédale marine pressée / pour que les forces vertes de la mer remontent par le sol et s'unissent aux pierres de l'édifice. / Bonsoir, belles profondeurs! / La gondole est lourdement chargée de vie, elle est simple et noire. / VIII. Ai rêvé que je devais retourner à l'école mais que j'arrivais en retard » Etc.
La mine de sel. Toujours soupirera. Dans ma main inexercée. L'estampe que tu m'offris m'écrase encore. M'écrase et l'ange a fermé le cercle du sens.

lundi 17 septembre 2012

Délivré de sa pesanteur


















«Une petite barque glisse sur une rivière étroite bordée de saules. Il n'y a personne dans la barque. C'est sans doute ce qui fait que quiconque la regarde cherche à se situer par rapport à elle. Certaines personnes se placent sur la berge et la regardent simplement passer, d'autres voient leur âme assise dans la barque. Parfois l'âme est rigide, absolument tendue vers l'avant. Parfois elle est heureuse et souple, faisant amicalement signe à sa cousine en chair sur la berge. D'autres personnes voient leur âme flotter au-dessus de la barque, la guidant ou la poussant, comme un ange de Chagall délivré de sa pesanteur.»

La vraie vie (roman). France Daigle.









mardi 3 juillet 2012

D'un azur l'autre


Synchronicité : découvrir Nérée De Grâce par hasard (aux nouvelles à la SRC) alors que je lis un numéro spécial de la revue Parcours consacré à Jean Paul Riopelle. Or, ces deux immenses peintres (de la même génération mais de tradition et de culture différentes, l'un né en 1920 à Shippagan, l'autre en 1923 à Montréal sur la rue De Lorimier) sont morts à quelques mois d'intervalle, début 2002... Flash-back. À l'époque, j'étudiais au Cégep, et j'avais dûment pleuré la mort de Riopelle, publiant un poème-hommage dans le journal étudiant. À peine quelques jours après, je commençais à fréquenter un Gionet dont les parents étaient originaires de la Péninsule. Mais il faudra attendre encore huit ans avant que je ne devienne Acadien moi-même... La boucle est bouclée! j'ai back mes vingt ans! j'ai still des traits québécois! mais mon esprit est full de bleu : le bleu qui me fascine désormais dans les tableaux de Nérée De Grâce, le bleu jazz des poèmes de Gérald Leblanc, le bleu Memramcook des yeux de Marie-Jo Thério et de Huberte Gautreau, le bleu du livre Bleu (de M. Pastoureau) que m'a naguère offert Genevieve St-Pierre, le bleu du ciel de Cap-Pelé et de la petite maison sur la rue Alma coin Queen où j'ai médité sur ma renaissance acadienne... Je regarde le chemin parcouru depuis dix ans, et je vois du bleu partout : des ecchymoses du coeur aux doigts tachés de jus de bleuet... «et ce bout du monde est bleu / are you going with me»
 
 

mardi 8 mai 2012

À cheval sur les heures.




(Copyright André Bourgeois. Toute reproduction est interdite.)


Le soleil en passant par Pré-d'en-Haut, à cheval sur les heures qui glapissent joyeusement, ne chasse pas tous les nuages. Et le fleuve que j'ai en moi est secoué de grandes marées. Passent les étreintes, passent les parapets. Je prends la prochaine vague vers l'amont à bras-le-corps. Y a-t-il un sens à ces rires ruisselants des goélands, virtuels amants? À bras-le-corps, le mien. Et seul devant le mascaret de ma vie.

Seul.

mardi 1 mai 2012

Les Ébauches abandonnées (Pour une Odyssée)



1ère ébauche


... et voici que s'achève une histoire incroyable! J'ai vu se plisser une eau, j'ai vu se soulever, pour la dernière fois, une nilotique crue. Il en est des fleuves emphatiques comme des civilisations : que change le lit, se brouillent de lie
nos coeurs, suspensive ardeur.

«C'est dans la souche même du récit qu'il vous eut fallu bâtir les montants du lit de votre amour » susurrent les Inconsolables, main dans la main, blessures contre flétrissures, face à la surface ondoyante, sans tain, des souvenirs homériques. 

Au loin s'effondrent des Empires; sur nous deux se couche un définitif soleil. Mais ce qui est tragique, ce n'est pas ce crépuscule muet, harappéen, qui ne nous nuit qu'en apparence; le repos et le deuil, ô passage, ô dignité en jachère, et nos richesses multicolores, enfouies pour une discrète cérémonie de purification nocturne... Ce qui est tragique, c'est son inéluctable
implacable
impitoyable lendemain d'azur.  





2e ébauche


... et voici qu'un bouquin se referme comme un lit!   Referme son piège; couverture, édredon. Page par page, l'air raréfié et lourdement reposé sur lui-même n'est-il pas l'image même de l'asphyxie symbolique de notre synthèse ratée? de notre hégélianisme avorté? J'ai vu se lisser une peau -- celle du chagrin renversé, à contre-temps, à contre-jour, j'ai vu se soulever une refoule de trop; nos coeurs s'y déversaient en larges
vaines eaux de verte ardeur.

«On ne liquide pas impunément une impudicité par les artères du silence. C'est à s'en mordre les doigts; la source sous l'oracle ne tarit pas d'éloge pour vous deux!» murmurent les Affluents, dos à dos comme des livres éteints. Automne et printemps ont le même mascaret pour confident.

Aux foins et aux fardoches les pires ans... les âpres. Cultures aux promesses émondées, des amériques d'amour retourneront en foule dans les nuits arctiques, sous les couvertures glacées qui gisent sur le lit aux montants rompus; les guerriers roux, nos conquistadors ô guérilleros des désirs inconnus, ont fait faux bond aux épiques récifs. Et tout est à nouveau à redécouvrir, à ravaler, à remonter, à explorer -- à ré-avouer, encore une fois pour la première fois.





3e ébauche


Je n'ai pas mille ans pour nous composer
Une élégie grande... la vie est trop laide.

La limite est là. Je ferai l'aède
De mon pire... Je nous enterrerai

comme on fit pour le preux Attila sous le lit
d'un blanc fleuve archaïque, bordé de grands lys.



(Nous ferons les loirs. Chacun pour soi.)


...pour nous composer une élégie grande.
Je ferai rimer, pour nous séparer :

Des alexandrins et des hexamètres, mais ils ne seront pas bons. Si j'avais mille ans devant moi... Si, si seulement... Si les printemps pouvaient ne plus fleurir, et les lendemains ne plus nous réveiller, ne plus réveiller nos désirs, ne plus nous guérir des ruptures... je pourrais écrire : «Ils s'aimèrent. Il y eut un jour et un matin. Tout, à jamais prit fin.»




4e ébauche

La route que nous avions empruntée fut rendue : augmentée.
Les souvenirs me plaisent; j'avais hâte de m'ennuyer de toi.
Tu m'es plus précieux que jamais, car désormais
Tu me manques...

Quand nous vieillirons ensemble, nous n'aurons pas changé depuis tout ce temps!


Mon amour. Les autres m'étaient jouets, ou tourments. Désormais, ils seront l'hommage que je te rendrai en tout bien, tout honneur.


Tout conte fait. Il n'y aura pas d'errance, pas de déshérence, pas de désespoir, pas de lutte ouverte contre les Dieux, pas de prétendants... Il n'y aura pas d'Odyssée à écrire, à recomposer. Car comme le chantait Char : « Laissons filer au blutoir des poussières les corps dont nous fûmes épris». 

Le mascaret passe; notre histoire, aussi. 






jeudi 29 mars 2012

Essai sur l'exposition De Natura

Mon amie, l'artiste Alex Caroll, m'avait demandé un texte sur son exposition en duo avec le sculpteur André Lapointe. J'ai adoré l'expérience. J'avais déjà une passion pour les arts visuels actuels, mais grâce à elle, et quelques autres, j'ai décidé de m'impliquer plus sérieusement, et de faire partie de la «scene», à Moncton. 

Voici le lien vers mon essai, le dernier de la liste (mais non le moindre!), après celui de Jean-Marc Dugas, les poèmes de Gabriel Robichaud et les textes de présentation des deux artistes : http://blog.plurielle.eu/?p=1755

La Galerie 12 est la seule galerie commerciale acadienne de Moncton en art visuel contemporain.

Extraits :



«À l’improbable ataraxie que convoitaient les épicuriens, tranquillité intérieure en symbiose avec les lois de la nature, Alex Caroll et André Lapointe opposent [...] l’ambiguïté de l’éphémère, lui-même figé dans le temps de la photo ou de l’installation. Cette posture intellectuelle prend ainsi la forme d’une réflexion sur la mort, la disparition, l’évanescence. Chez Caroll, par exemple, la série «Les portraits anonymes» aligne huit photographies, précédées d’un vase de fleurs entièrement recouvert d’une couche opaque de peinture bleue, qui rappelle la maladresse et la fausse pudeur clinquante de nos rites funéraires. Intitulés «portraits», et non «natures mortes», ces photos de roches, de coquillages, d’algues séchées et de bois trouvé sur une plage, sont présentés comme autant de visages abstraits, déshumanisés, baroques ; à la fois vanités et grisaille. Étrange galerie de personnages, aux histoires qui se laissent deviner dans un clair-obscur inquiétant (faisant ressortir les aspérités et les silhouettes), et où l’ombre est un élément à part entière, presque un double de l’objet pétrifié. La parenté avec l’œuvre The Silence de Füssli est troublante.»




 

«Chez Lapointe, une photographie comme Ophélia, d’après John Millais, Beaumont (NB), qui nous plonge dans le romantisme préraphaélite d’une étendue d’eau stagnante entourée de verdure, où de petites taches colorées flottent à la surface, rappelle effectivement l’œuvre de Millais, mais où le personnage central de la belle suicidée shakespearienne, qui donne son nom à la toile de référence, brille par son absence. Le thème de la mort est donc suggéré, avec une sobriété et une efficacité sûres, dans un moment réactualisé puis cristallisé par le procédé photographique, sur un mode très tendre, très doux. Comme si, dans ce dialogue entre la nature, qu’un geste (artistique) vient subrepticement faire frissonner, et une toile célèbre qui se révèle en creux dans l’image, la mort reste une modalité toute simple du cycle de la vie que l’art vient héroïser et esthétiser a posteriori. L’isomorphisme des deux créateurs est patent, latent.»




«Une tension palpite entre le caractère artificiel de la mise en scène et les symboles, ou les métaphores, qui ne cessent de clignoter dans la minutieuse juxtaposition : tension entre le naturel et le fabriqué, entre l’intérieur et l’extérieur, entre les formes géométriques (le cercle parfait des feuilles amalgamées; l’angle droit des deux souliers) et les tortueuses excroissances de la branche charnue, entre le côté urbain, intime des chaussures à talon et le côté résolument forestier du reste, entre le caractère éphémère de l’œuvre et la minutie de l’agencement. Cette tension palpite comme un cœur.

On dirait que cette nature morte vit de la vie figée et onirique des souvenirs ou des rêves, des métaphores ou des secrets. Puis, de la mare de feuilles rouge sang à la branche qui ressemble soudain à des veines et des artères pétrifiés, la féminité des souliers aux doux pétales de rose semble pointer vers le signe intime de l’adéquation entre le cycle des saisons et le mystère de la fécondité… Est-ce, au final, une représentation de la femme, à la fois cosmique et cosmétique, naturelle et pourtant : fardée?»