Mon amie, l'artiste Alex Caroll, m'avait demandé un
texte sur son exposition en duo avec le sculpteur André Lapointe. J'ai
adoré l'expérience. J'avais déjà une passion pour les arts visuels
actuels, mais grâce à elle, et quelques autres, j'ai décidé de
m'impliquer plus sérieusement, et de faire partie de la «scene», à
Moncton.
Voici le lien vers mon essai, le dernier de la liste (mais non le moindre!), après celui de Jean-Marc Dugas, les poèmes de Gabriel Robichaud et les textes de présentation des deux artistes : http://blog.plurielle.eu/?p=1755
La Galerie 12 est la seule galerie commerciale acadienne de Moncton en art visuel contemporain.
Extraits :
«À l’improbable ataraxie que convoitaient les épicuriens, tranquillité intérieure en symbiose avec les lois de la nature, Alex Caroll et André Lapointe opposent [...] l’ambiguïté de l’éphémère, lui-même figé dans le temps de la photo ou de l’installation. Cette posture intellectuelle prend ainsi la forme d’une réflexion sur la mort, la disparition, l’évanescence. Chez Caroll, par exemple, la série «Les portraits anonymes» aligne huit photographies, précédées d’un vase de fleurs entièrement recouvert d’une couche opaque de peinture bleue, qui rappelle la maladresse et la fausse pudeur clinquante de nos rites funéraires. Intitulés «portraits», et non «natures mortes», ces photos de roches, de coquillages, d’algues séchées et de bois trouvé sur une plage, sont présentés comme autant de visages abstraits, déshumanisés, baroques ; à la fois vanités et grisaille. Étrange galerie de personnages, aux histoires qui se laissent deviner dans un clair-obscur inquiétant (faisant ressortir les aspérités et les silhouettes), et où l’ombre est un élément à part entière, presque un double de l’objet pétrifié. La parenté avec l’œuvre The Silence de Füssli est troublante.»
«Chez Lapointe, une photographie comme Ophélia, d’après John Millais, Beaumont (NB), qui nous plonge dans le romantisme préraphaélite d’une étendue d’eau stagnante entourée de verdure, où de petites taches colorées flottent à la surface, rappelle effectivement l’œuvre de Millais, mais où le personnage central de la belle suicidée shakespearienne, qui donne son nom à la toile de référence, brille par son absence. Le thème de la mort est donc suggéré, avec une sobriété et une efficacité sûres, dans un moment réactualisé puis cristallisé par le procédé photographique, sur un mode très tendre, très doux. Comme si, dans ce dialogue entre la nature, qu’un geste (artistique) vient subrepticement faire frissonner, et une toile célèbre qui se révèle en creux dans l’image, la mort reste une modalité toute simple du cycle de la vie que l’art vient héroïser et esthétiser a posteriori. L’isomorphisme des deux créateurs est patent, latent.»
«Une tension palpite entre le caractère artificiel de la mise en scène et les symboles, ou les métaphores, qui ne cessent de clignoter dans la minutieuse juxtaposition : tension entre le naturel et le fabriqué, entre l’intérieur et l’extérieur, entre les formes géométriques (le cercle parfait des feuilles amalgamées; l’angle droit des deux souliers) et les tortueuses excroissances de la branche charnue, entre le côté urbain, intime des chaussures à talon et le côté résolument forestier du reste, entre le caractère éphémère de l’œuvre et la minutie de l’agencement. Cette tension palpite comme un cœur.
On dirait que cette nature morte vit de la vie figée et onirique des souvenirs ou des rêves, des métaphores ou des secrets. Puis, de la mare de feuilles rouge sang à la branche qui ressemble soudain à des veines et des artères pétrifiés, la féminité des souliers aux doux pétales de rose semble pointer vers le signe intime de l’adéquation entre le cycle des saisons et le mystère de la fécondité… Est-ce, au final, une représentation de la femme, à la fois cosmique et cosmétique, naturelle et pourtant : fardée?»
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