1ère ébauche
... et voici que s'achève une histoire incroyable! J'ai vu se plisser une eau, j'ai vu se soulever, pour la dernière fois, une nilotique crue. Il en est des fleuves emphatiques comme des civilisations : que change le lit, se brouillent de lie
nos coeurs, suspensive ardeur.
«C'est dans la souche même du récit qu'il vous eut fallu bâtir les montants du lit de votre amour » susurrent les Inconsolables, main dans la main, blessures contre flétrissures, face à la surface ondoyante, sans tain, des souvenirs homériques.
Au loin s'effondrent des Empires; sur nous deux se couche un définitif soleil. Mais ce qui est tragique, ce n'est pas ce crépuscule muet, harappéen, qui ne nous nuit qu'en apparence; le repos et le deuil, ô passage, ô dignité en jachère, et nos richesses multicolores, enfouies pour une discrète cérémonie de purification nocturne... Ce qui est tragique, c'est son inéluctable
implacable
impitoyable lendemain d'azur.
2e ébauche
... et voici qu'un bouquin se referme comme un lit! Referme son piège; couverture, édredon. Page par page, l'air raréfié et lourdement reposé sur lui-même n'est-il pas l'image même de l'asphyxie symbolique de notre synthèse ratée? de notre hégélianisme avorté? J'ai vu se lisser une peau -- celle du chagrin renversé, à contre-temps, à contre-jour, j'ai vu se soulever une refoule de trop; nos coeurs s'y déversaient en larges
vaines eaux de verte ardeur.
«On ne liquide pas impunément une impudicité par les artères du silence. C'est à s'en mordre les doigts; la source sous l'oracle ne tarit pas d'éloge pour vous deux!» murmurent les Affluents, dos à dos comme des livres éteints. Automne et printemps ont le même mascaret pour confident.
Aux foins et aux fardoches les pires ans... les âpres. Cultures aux promesses émondées, des amériques d'amour retourneront en foule dans les nuits arctiques, sous les couvertures glacées qui gisent sur le lit aux montants rompus; les guerriers roux, nos conquistadors ô guérilleros des désirs inconnus, ont fait faux bond aux épiques récifs. Et tout est à nouveau à redécouvrir, à ravaler, à remonter, à explorer -- à ré-avouer, encore une fois pour la première fois.
3e ébauche
Je n'ai pas mille ans pour nous composer
Une élégie grande... la vie est trop laide.
La limite est là. Je ferai l'aède
De mon pire... Je nous enterrerai
comme on fit pour le preux Attila sous le lit
d'un blanc fleuve archaïque, bordé de grands lys.
(Nous ferons les loirs. Chacun pour soi.)
...pour nous composer une élégie grande.
Je ferai rimer, pour nous séparer :
Des alexandrins et des hexamètres, mais ils ne seront pas bons. Si j'avais mille ans devant moi... Si, si seulement... Si les printemps pouvaient ne plus fleurir, et les lendemains ne plus nous réveiller, ne plus réveiller nos désirs, ne plus nous guérir des ruptures... je pourrais écrire : «Ils s'aimèrent. Il y eut un jour et un matin. Tout, à jamais prit fin.»
4e ébauche
La route que nous avions empruntée fut rendue : augmentée.
Les souvenirs me plaisent; j'avais hâte de m'ennuyer de toi.
Tu m'es plus précieux que jamais, car désormais
Tu me manques...
Quand nous vieillirons ensemble, nous n'aurons pas changé depuis tout ce temps!
Mon amour. Les autres m'étaient jouets, ou tourments. Désormais, ils seront l'hommage que je te rendrai en tout bien, tout honneur.
Tout conte fait. Il n'y aura pas d'errance, pas de déshérence, pas de désespoir, pas de lutte ouverte contre les Dieux, pas de prétendants... Il n'y aura pas d'Odyssée à écrire, à recomposer. Car comme le chantait Char : « Laissons filer au blutoir des poussières les corps dont nous fûmes épris».
Le mascaret passe; notre histoire, aussi.