mercredi 15 décembre 2010

Déloger le chiac?

Pour le nouvel arrivant, a fortiori pour le rameau émondé du Québec de vieille souche grise et moussue que chus, les parlers acadiens étonnent et détonnent. Ça vrille, ça brille, ça roule et ça défrise. On a beau essayer de se déquébéciser avec application, il appert que mon nouveau patois ne ressemble à rien, parce que je ne suis pas du cru (de tous les crus). De Chéticamp à Edmundston, en passant par la Baie-Sainte-Anne, Moncton, Shédiac, Cap-Pelé, Cocagne, Bouctouche et Caraquet (entre beaucoup d'autres), les parlers d'Acadie sont multiples et très colorés. Trêve d'exotisme. J'aimerais être linguiste ou ethnologue pour les embrasser tous avec méthode, avec amour.

La jeunesse acadienne concernée par les problèmes du siècle (et beaucoup moins par les problèmes de leurs aînés)


Les habitants francophones du Sud-Est du Nouveau-Brunswick (de loin les plus nombreux, en terme absolu, dans les Maritimes) se débattent depuis un certain temps dans la vase d'une problématique linguistique particulière : le chiac. Entre dénonciations de cette mixture difficile pour certains à avaler, et éloges en bonne et due forme (jusque dans un documentaire célèbre), le chiac dérange le vieil Acadien/la vieille Acadienne de tout âge, qui aimerait bien se gargariser de parler le plus vieil exemple de patois français d'Amérique. La différentiation d'avec le québécois devient, à cet effet, vital : l'Acadie est vénérable, vénérablissime, et sa parlure remonte en droite ligne de son ancêtre direct (dirait la Gribouille), ce français rabelaisien de l'Ouest et du Centre de la Mère-Patrie.

But, t'as qu'à ouère!

Le Sud-Est du N-B devient, malgré son importance démographique, le grand danger d'anglicisation pour les jeunesses du cru. Le chiac est une déviance, une maladie de la bouche, un «joual». Yup.

Alors que faire, sinon que de refranco-acadianiser nos jeunes? Problème : êtes-vous certain que l'Histoire est de votre bord? Êtes-vous certain que les langues sont de nature imperméables (aux influences des autres langues, aux prestiges des autres langues, et aux déformations inhérentes à toute évolution des langues)? Je ne suis pas linguiste. Je n'ai pas la réponse. Mais je sais une chose : il ne faut pas avoir peur du chiac. Il faut surtout apprendre à moduler sa langue, à définir les niveaux de langage, à multiplier son vocabulaire et à former les jeunesses pour qu'elles sachent la différence entre parler à son professeur, parler à ses parents, parler à ses amis, parler à son patron. Et écrire. Les situations demandent qu'on s'adapte à elles, et notre façon de s'exprimer itou. Surtout. Et ça comporte toute la force d'un adjectif : «idoine».


Moncton, capitale du chiac


Quant à déloger le chiac : well, good luck!!! Pensez-vous vraiment que le joual a été éjecté des gorgotons montréalais? Que nenni.

Ce débat implique des problèmes qui me dépassent, ou qui comportent des zones ombrageuses difficiles à parcourir. Je m'approche, j'écoute, j'approuve ou non, mes préjugés s'y mettent, ma raison tance mon émoi. N'empêche que la best way de lutter contre un appauvrissement du chiac, et contre sa dilution dans un anglais approximatif, sans en faire disparaître les beautés, les innovations et les rudesses juvéniles, passe par la valorisation des études supérieures. C'est ainsi que des adultes patentés et curieux réinventent leur manière de langage : en continuant le plus longtemps possible à étudier, à voyager, à lire et à s'ouvrir aux subtilités des arcanes de la réalité protéiforme qu'ils vont investir. Car de cette façon, les erreurs (les fautes, les mésusages, les coquilles et les ratures) de leur parlure individuelle seront autant d'échelons vers une langue commune plus riche. Et leur pensée : idoine.
Ouaille. On s'ouèrra!

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