mardi 10 janvier 2012

Lettre à celle qui fut là

Guy Gautreau présentant des fleurs à Sylvie Mazerolle après une performance de celle-ci à la galerie de celui-là, devant des oeuvres de Maryse Arsenault exposées pour l'occasion (Festival Parlure d'icitte de Memramcook). Crédit : E. Chapados


 Lettre à celle qui fut là


Ma chère amie!!! Je suis (toujours) dévasté par l'annonce des gens qui partent. Je suis profondément conservateur... en ce sens précis que je n'ai jamais désiré que les choses changeassent, que les gens partissent, que mes endroits de prédilection disparussent... Mais : «Ainsi va le train du monde, et je n'ai que du bien à en dire.» (Saint-John Perse)

Mieux : je ressens très fort les bouleversements : de l'intérieur. Je suis : sensible à ce qu'on appelait (mais appelle-t-on ça encore, je ne sais plus) : l'Histoire. La petite, davantage que la grande, en l'occurrence. Je ne crois pas être plus à ma place ailleurs qu'à Moncton, en ce sens. En ce sens précis que j'y suis sans cesse confronté à l'éphémère. Il y a un enseignement, pour moi, là-dedans. C'est presque : important.



Aussi, je suis dévasté de ton départ. C'est merveille que nos chemins se soient croisés. Et je crois, je crois en la magie des rencontres. Idée qui me taraude depuis que je suis (d'ailleurs presque à la fin) plongé dans le dernier Houellebecq : j'aurais pu écrire cette Carte et le territoire. Mais évidemment, de mon point de vue (point de vie) qui est la douceur, la légèreté des rencontres, des amitiés, et la joie, la joie : franciscaine que je ressens par bouffées stupéfiantes (versant pur, lumineux, qui complète, au sens éminemment taoïste, l'autre versant, ou plutôt la vallée, sombre, moite, engourdie et terrifiante, de ma personnalité -- comme tout le monde?).

J'aurais pu écrire ce bouquin, parce que je sais que des jours plus durs vont venir, et que dans ma souffrance d'être incessamment confronté à cette vérité, j'aurai la cruauté d'aller au bout de la nuit, la nuit qui s'étend toujours, à la fin, brutale, inexorable, sur les meilleur.e.s, les meilleures intentions, les meilleures relations, les plus belles situations. Ingeborg Bachmann, tout à fait comme Edith Stein et Simone Weil, ont une vocation à l'anéantissement que je ne refuse pas non plus. Écoute cette voix, destinée à se consumer :



Je commence à peine à me remettre de plusieurs années d'inactivité artistique. Je commence à peine à me sentir prêt, à me sentir happé, appelé. Il faut probablement beaucoup de souffrance et de déchirement, de départs et de destructions, pour faire l'expérience de la pure superficialité du monde, et ainsi lui opposer le travail de l'art. Je ne sais pas... Mais ce que je sais, c'est que je resterai encore un peu à Moncton, j'y serai aussi avide de comprendre cette «arène», où les choses continuent de m'exalter.

Je voudrais, avant de finir cette lettre, te partager un poème en diptyque que je viens d'écrire, il y quelques jours à peine. C'est presque un mauvais poème. Tu seras la première à le lire, si tu as le temps. Mais c'est déjà un projet : aller au bout de mon expérience d'ICI, sachant que je serai de plus en plus seul, de plus en plus nostalgique, et de plus en plus inspiré.

Bien à toi,
Bast xx


IMITATIO

«La Vie imite l'art.» C'est vérité vraie que j'écris là! (C'est si vrai, que ça porte un autre nom : évidence, ou mieux : lapalissade.)

La Vie imite l'Art quand les grosses boules de pétales blancs, dans le sépia du crépuscule biffé de motifs répétitifs, moucheté de lueurs rougeâtres, et moiré, et comme glacé, ressemblent soudain, dans l'atroce cri du faisan, comme deux gouttes d'une même bagosse, aux tableaux de Maryse Arsenault.

La Vie imite l'Art quand la chorégraphie des passants, sur la rue Alma au coin de la Queen, quand ma propre déambulation incantatoire, au point extrême d’étirement ou d'exclamation brutale de joies sans raison, pure Vie en mouvement, ne fait plus penser à autre chose qu'à l'oeuvre savamment mesurée-démesurée, à l'envi, ô tension, ô pulsation sensorielle, ô déséquilibre, de Sylvie Mazerolle.

La Vie imite l'Art, peut-être surtout, quand ce que j'expérimente en tout sens, mes intimes et publics états de participation, quand la seule façon de comprendre ce qui m’arrive, semble irrépressiblement avoir été orchestré, rythmé, libation et oblation, par la parole sacrée païenne posthume, de Gérald Leblanc.

Ma vie à Moncton imite d'ailleurs tant tellement son Mantra, que je ne sais plus si je suis le lecteur ému de mon double tôt disparu, ou si je ne suis pas plutôt le personnage un peu plat d'un nouveau texte qu'il prépare, en cours de rédaction, et que s'il a inventé son propre décès au début du premier chapitre, au fond, la vérité : c'est qu'il est vivant, et moi, fictif.

10 décembre 2011






Suite à IMITATIO

Or, est-il possible de faire plus ressemblant à une oeuvre d'André Lapointe que cet arbre qui jouxte l'entrée du centre Aberdeen, qui en caresse la façade de briques, et dont les branches effeuillées portent encore (un 9 décembre!) de belles et innombrables pommettes bien brunies par les intempéries, rembrunies (mais bien portantes), comme si l'artiste, gratuitement, comme il sait si bien le faire, comme par nécessité, avait décoré quelque tilleul esseulé de ternes rameaux de pin et de luisantes pommes rouges.

(Tous ceux à qui je demande, quiconque connaît un tant soit peu l'oeuvre, acquiesce avec étonnement : soudain, leur regard embué de quotidienne myopie fonctionnelle, se dessille.)

Je médite à cette transfiguration esthétique, à ce moment, où l'indistinct se révèle dans sa vérité d'imitation d'une oeuvre artistique, humaine, et en marchant sur la Dufferin, je me questionne : comment est-ce possible qu'une grande bande irrégulière de points de couture déchire le ciel, en rapièce et en soude les bleus, les blancs et les ors, en sorte que les lois physiques les plus élémentaires puissent être aussi aisément bafouées, juxtaposition impossible (mais plausible) de différents matériaux, de différentes techniques (collage, peinture, tissage, etc.), et de différentes époques superposées (vieilles machines alambiquées, ô treuil! ô enluminures excisées, et tous ces visages anonymes, toutes ces vieilles gravures tirées d'on ne sait quelle encyclopédie...), sinon dans l'esprit de Guy Gautreau, en son atelier de Memramcook?


Je me rends compte, avec stupéfaction, que je pourrais continuer ainsi INDÉFINIMENT. Non seulement la Vie imite l'Art, mais la vie imite (décuple et démultiplie, rassemble et ressemble, enfin : réactualise sans cesse) mon poème, le poème intitulé, comme un aveu final : IMITATIO.





1 commentaire:

  1. Un commentaire discret, moi qui vous suis depuis quelques années maintenant (je suis presque étonnée d'utiliser cette mesure de temps aujourd'hui).
    Vos textes font du bien, plaisir vivace, je reviens souvent vous lire pour invoquer le printemps ... la poésie sûrement.
    Merci pour tout. J'espère vous réécrire dans quelques années, toujours aussi enthousiaste et tellement pas blasée :)

    Bien à vous,

    Kahina

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