lundi 9 janvier 2012

Les étoiles (dans les yeux)

Pour Noël, j'ai reçu en cadeau une oeuvre de Maryse Arsenault : «La Mariecomo et ses nièces» (2007). Personne ne peut imaginer comment j'en suis resté ébaubi, ébloui, ému! C'était comme un condensé d'une partie importante de ce qui m'attache à ma vie actuelle dans les Maritimes. Ou plus précisément : Une constellation de liens entre des personnes et des histoires. Qui donne du sens à ce que je vis, et qui m'oriente dans l'existence. (Et c'est le rôle même de l'art qui trouve ici, dans le petit récit d'une grande passion, sa véritable nature.)


So ça commence avec ma rencontre avec des Acadiens à Montréal. Dont mon amour. Et d'où mon amour. Bref. J'ai tout quitté pour m'installer le plus près possible du peuple acadien, peuple sans pays, issu d'une présence française périphérique dans l'est de l'Amérique du Nord, etc. J'ai plongé (tête première, évidemment, «avec pas de casque») dans cette culture mouvante et émouvante, vague et maritime, riche et prolétaire. Une culture populaire somehow folklorisée par certains (promoteurs industriels et vendeurs de cartes postales), dénigrée par d'autres (hein, M. le Consul?), mise sur la carte de la Francophonie mondiale par Mme Antonine Maillet avec son prix Goncourt. Mais il existe une autre oeuvre qui, pour avoir été lue par Jacques Ferron et comparée par lui avec cette dernière, se situe un peu de biais, ou de travers, par rapport Pélagie-la-Charrette.

Écrit par l'historien Régis Brun, le roman La Mariecomo présente une vision plus «underground» de la vie acadienne traditionnelle. Plutôt que de remonter sur l'empremier et de montrer le courage des familles (pieuses et laborieuses, amen) issues de la Déportation, Régis Brun montre l'envers du décors : des laissés-pour-compte, des «taoueilles» et des «Indjens», des sorciers et des libres-penseurs, qui se réunissent un soir pour célébrer un mariage (pas catholique pour un sou, il va sans dire). De petites gens méprisées et en marge de la Renaissance acadienne, dont le dénominateur commun est une vieille matriarche qui leur a laissé son nom : les Borgittes (déformation du prénom Brigitte). Et qui, ce soir-là, reçoivent de la grande visite, la Mariecomo, une femme qui possèderait d'authentiques pouvoirs magiques, de par sa fréquentation des sorciers de la Côte (entre Richibouctou et Cap-Pelé) et des Premières Nations (qu'on évite ordinairement, qu'on craint, et qui porte le nom péjoratif d'Indjens). Mais la Mariecomo se fait vieille, elle est fatiguée de ses pérégrinations incessantes, et elle va, semble-t-il, demeurer sur les Borgittes. Le tout magnifiquement écrit dans la langue vive et éblouissante de Régis Brun, qui tente de rester au plus près du parler populaire.


Or la Mariecomo, de toute littéraire qu'elle soit dans l'oeuvre de Brun, a déjà existé, dans la seconde moitié du 19e siècle, décédée probablement dans les premières années du 20e. Brun est un historien. Il s'est inspiré de se qu'il connaissait : contes et légendes transmis par les «vieux», documents de paroisses ou privés, etc. Et c'est en fait un des éléments qui frappe immédiatement l'oeil, pour qui a lu la Mariecomo, en observant l'oeuvre de Maryse Arsenault. La jeune artiste se réapproprie la figure tutélaire de la marginalité, lui donne un visage plus simple, plus vrai, de vieille femme entourée de ses nièces, et démolit le mythe de la «taoueille» (cette insulte dans la bouche de la bonne société de l'époque) pour mieux exalter l'individualité, la femme libre et aimée. Une vieille image à demi esquissée, à demi effacée, comme on en trouve, anonyme, dans tous les albums de famille. Mais justement : c'est cette précision «réaliste», liée au caractère légendaire du nom que porte l'oeuvre, qui rend celle-ci tellement émouvante et forte.

La proximité des nièces avec la sorcière (on dirait une simple mémére acadienne) montre un lien générationnel, une métaphore de transmission, qui rappelle celle qui lie Maryse Arsenault avec son passé, sa culture d'Acadienne. Fille d'un des plus grands poètes défricheurs des années 60-70, Guy Arsenault, (qu'on voit à gauche sur la photo suivante en compagnie de Régis Brun, assis, de Gérald Leblanc à droite, et de Laurent Comeau au centre), Maryse questionne continuellement, par l'emploi de matériaux hétéroclites, de vieilles photographies, de méthodes et de techniques différentes, le rapport intime que l'on entretient avec le passé. Avec des symboles récurrents : oiseaux, fleurs, motifs de papier peint, enfants, chevaux... Des choses simples. Simples comme des archétypes. Comme des universaux. D'une oeuvre à l'autre, ludique et appliquée, elle fait varier les mêmes images comme un kaléidoscope, couleurs, lumière, tantôt sur panneaux de bois, tantôt sur canevas, et même sur n'importe quoi, napperon de restaurant, vitres, vieux cadres... Les technologies de différentes époques, dont la nôtre, PhotoShop et daguerréotypes, sont mises à contribution pour former une histoire familiale ou personnelle fragmentée, fracturée, fractionnée ou recomposée, dont l'universalité, au final, témoigne de la réussite esthétique.  




Or, voici qu'une coïncidence significative dans mon choix de venir m'installer à Moncton vient s'ajouter à ces liens.

En vacances l'été, c'est pendant un repas dans un restaurant de type méditerranéen sur la Main que j'ai pris la décision de tenter ma chance en Acadie. Ce que je ne savais pas à l'époque, et que j'ai figuré out par après, c'est que le serveur, à ce moment-là, et qui allait devenir un ami, était un jeune peintre originaire de Cap-Pelé (la patrie des Borgittes), Mario Rhéal Landry. Quelques mois plus tard, alors que j'étais barista dans un café de Moncton, je l'ai reconnu et lui ai dit à quel point je trouvais cocasse de le servir à mon tour! Étrangement, il me reconnut (ou du moins, c'est ce qu'il me dit à ce moment-là). Il se souvenait d'un Québécois attablé avec deux Acadiens, il se souvenait d'avoir écouté avec intérêt nos conversations enjouées, vives et intenses. Bref. Il m'invita du coup à venir assister à son prochain vernissage. Et mon exaltation n'en fut que plus grande quand je me rendis compte que ses oeuvres, parfois confuses et inquiétantes, souvent dépouillées, originales, trouvaient en partie leur inspiration dans la Mariecomo! Les Borgittes y trouvaient tous et toutes, sous des arbres gigantesques, des maisons à leur nom.


J'étais ébranlé par les liens qui se tissaient entre les gens, les oeuvres, mes décisions et moi. Entre l'Acadie et moi. Je le suis encore (mais de manière strictement positive).

Je crois en ces liens.

Il y en a d'autres.

C'est tout un ciel, plein de ces constellations, que je contemple avec amour.

Comme le ciel de Cap-Pelé, quand le soleil commence à rosir dans le crépuscule estival, sur la plage de l'Aboiteau, la plus belle (ou au moins à égalité avec la dune à Robichaud), là où j'ai enterré une partie de mon tchoeur, pour qu'il y batte à l'année longue, entre des cotchilles de mouques, sous le sable parfaitement fin et chaud.



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